"Concorde : succès technique et désastre commercial"
Jean-Marc OLIVIER
FRAMESPA (UT2 Toulouse)
Le programme Concorde demeure un sujet délicat à traiter, surtout à Toulouse où chacun peut être le témoin de son histoire à partir du moment où il est né avant 1970. L’abondante, voire surabondante, bibliographie en atteste. Plus de 100 ouvrages existent dans des langues très diverses. Ceux en français, au moins une cinquantaine, sont souvent partisans, voire apologétiques ou hagiographiques comme l’indiquent leurs titres. D’ailleurs, jusqu’en 2018, aucun de ces ouvrages consacrés à Concorde n’émane d’historiens universitaires, le plus grand nombre provient de journalistes ou d’anciens pilotes. Indicateur significatif, à l’opposé de la pléthore d’ouvrages en français sur le Concorde, il n’en existe pas un seul dans notre langue sur le Tupolev Tu-144 son grand rival.
Toutefois, on peut penser que 50 ans après les premiers vols de ces deux supersoniques, le temps de l’histoire est enfin venu, après celui des légendes. En effet, aujourd’hui, les grands acteurs sont, pour la plupart, décédés ; mais à l’image d’André Turcat, passionné d’histoire sur la fin de sa vie, ils ont ouvert leurs archives privées et souhaité que les historiens travaillent librement, loin des contraintes de l’actualité politique et économique. Donc, si certains fonds d’archives demeurent difficiles d’accès, comme celui des essais en vol conservé dans l’usine de Saint-Martin-du-Touch, d’autres sont désormais ouverts au public, en particulier le très riche fonds Turcat déposé aux archives départementales de la Haute-Garonne et classé par Fabienne Peris sous la direction de Pascal Gaste, deux fins connaisseurs de ce sujet. Pierre Sparaco, journaliste spécialisé dans l’aéronautique, a également fait cadeau de ses archives au musée Aeroscopia de Blagnac ; elles comportent de nombreux documents consacrés au programme Concorde. Cette quête de la « vérité historique » devient ainsi plus facile car les ultimes témoins n’hésitent pas à parler, sachant que le Concorde n’est plus en service depuis l’année 2003.
Revenir sur les succès techniques du Concorde s’avère donc possible en les replaçant dans leur contexte historique très riche. Concorde apparaît ainsi comme un "avion politique" pour lequel la France et le Royaume-Uni ne reculent devant aucune dépense. Les performances sont au rendez-vous, même si elles sont systématiquement précédées par celles du Tupolev Tu-144 (ce dernier n’étant pas une simple copie du Concorde, ou "Concordski"). Sur le plan commercial, le bilan se révèle catastrophique, seulement 14 exemplaires vendus aux deux compagnies nationales française et britannique. À titre de comparaison, les avions Airbus de la famille A320 sont déjà commandés à plus de 14 000 exemplaires. Pourtant, quand le premier Airbus, l’A300B, est présenté sur le tarmac de Blagnac, au début des années 1970, les journalistes lui préfèrent immédiatement le Concorde, qualifiant l’Airbus de "grosse vache". Mais aujourd’hui, la "grosse vache" est devenue la "vache à lait" de l’industrie aéronautique européenne, comme le souligne avec malice Bernard Ziegler (responsable des premiers essais Airbus et fils d’Henri, grand patron du programme Concorde).
Un café+croissant sera servi dans le hall à partir de 10h45.